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Du point de vue des émotions
Pour avoir longtemps travaillé, ne serait-ce que sur moi-même, sur le champ émotionnel, à l'aide de la bioénergie, du massage, du rebirth, de la respiration holotropique sans oublier finalement les lyings, j'ai cru de bonne foi que l'expression des émotions était une voie excellente pour se libérer des peurs, des limitations. En fait tout ce travail n'est pas inutile, mais le plus souvent insuffisant. Ceux qui l'ont pratiqué ont peut-être remarqué que malgré le soulagement apporté les mêmes émotions reviennent souvent, s'étalent dans le temps sous des formes variées, mais de même structure. Certainement parce qu'elles ne nous permettent pas toujours d'atteindre la ou les sensations corporelles qui cherchent alors à se manifester.
L'émotion nous maintient au bord de la sensation. Pour certains qui ont du mal à entrer dans leurs émotions, ce sera un progrès que de pouvoir les vivre, mais finalement quand je suis triste, en colère ou que j'ai peur, j'ai peur de la suite. Qu'est-ce que cette suite ? C'est le danger, mémorisé corporellement lors d'une première expérience lointaine, qui va m'atteindre sensoriellement si je me laisse aller à vivre cette sensation.
Porter son attention sur les sensations corporelles nous mène plus sûrement au but et d'une manière plus rapide et plus confortable si je puis dire.
Du point de vue de nos peurs
Distinguons tout d'abord la peur qui nous fait éviter un danger réel, orientée vers l'action immédiate et salvatrice des peurs qui se manifestent sous forme de phobies diverses (peur des araignées, du vide, claustrophobie…) et encore des peurs inconscientes dont nous ne connaissons véritablement que les effets, dont par exemple la colère ou la dépression.
L'hypothèse est celle-ci : en dehors d'un danger véritable actuel, si un trouble émotionnel apparaît, c'est qu'une peur ancienne, un premier contact avec un événement traumatisant a été mémorisé. Sinon comment saurai-je, comment mon corps saurait-il qu'il a à réagir, à m'alerter ? Il le sait parce qu'il perçoit dans l'environnement des similitudes avec du " déjà ressenti ". Cette alerte tend d'une manière réflexe à nous faire éviter de sentir à nouveau ce qui originellement a pu nous mettre en danger vital.
L'expérience systématisée des revécus sensoriels vient conforter cette hypothèse qui situe l'origine de nos peurs dès le départ de la constitution, du développement de ce corps. Mon propos n'est pas d'écarter d'éventuelles mémoires transgénérationnelles ou de vies antérieures mais finalement qui a peur maintenant ? Ce n'est pas mon grand-père, ce n'est pas moi dans une vie antérieure, c'est moi, maintenant. Et qu'est-ce qui m'indique que j'ai peur ? C'est ce corps, à travers les sensations. Partant de là, je peux remonter, tel le saumon, à l'origine sensorielle de cette manifestation et cela semble suffire à interrompre définitivement la réaction qui me maintenait dans l'évitement ou l'inhibition.
Du point de vue de la vie intra utérine
Si vous avez la curiosité de parcourir l'étude de Luc Nicon, vous découvrirez que parmi les événements qui ont marqué de leur empreinte la mémoire sensorielle, il y en a un qui est plus fréquent qu'on ne pourrait le supposer de prime abord : la perte d'un jumeau pendant la vie intra-utérine. Selon le stade de développement et selon que ce jumeau était dans la même poche (monozygote) ou dans une poche différente (dizygote) l'empreinte sensorielle sera différente ainsi que le lien avec les troubles apparaissant plus tard dans la vie de la personne. Je n'entre pas dans le détail ici.
La leçon qu'il m'importe de retenir, c'est que les éléments de tristesse, de culpabilité, d'attachement-détachement qui semblent entrer naturellement dans les situations de perte ou de séparation n'en sont finalement que des aspects. Au delà d'une période normale de deuil, la clé de ces états émotionnels persistants, la clé de la modification de ces états n'est pas tant la peur pour l'autre, la tristesse d'avoir échoué à le retenir ou d'avoir perdu un paradis, mais la peur pour soi, pour sa propre sécurité. En effet une telle perte provoque une ou plusieurs perturbations intenses qui mettent le survivant en situation d'inconfort, voire de danger. Encore une fois, si l'on en reste au vécu émotionnel sans s'intéresser aux sensations sous-jacentes et sans les laisser se dérouler, cette phase de danger n'est pas vécue en conscience et la peur inconsciente ainsi que sa manifestation persistent.
Du point de vue des approches thérapeutiques
Il découle de ce qui vient d'être dit que ce n'est ni l'analyse intellectuelle, la connaissance de tel événement qui pourrait avoir eu lieu dans un passé plus ou moins lointain ou l'origine temporelle présupposée du trouble actuel qui peut nous aider à parvenir à un changement. Ni la seule expression émotionnelle qui suffira à renouer avec soi-même. Probablement parce que ce qui a été vécu à l'aube de la vie n'a été que senti, sans qu'il y ait re-présentation à l'époque.
Du point de vue spirituel
Pourtant, si le fœtus ou même l'embryon n'a pas d'appareil conceptuel tel que nous l'entendons par la suite, il reste une question. Comment se fait-il qu'un re-vécu (sensoriel) soit nécessaire à la disparition de la peur ? Je suppose que c'est parce que ce qui a été vécu lors de ces événements traumatisants* n'a pas été vécu " en présence ". Autrement dit, il y avait déjà à l'époque soit une capacité à s'absenter si l'on est optimiste, soit le mental à l'œuvre si l'on est pessimiste. Quoi qu'il en soit l'interposition d'une distance entre soi et l'événement, entre soi et la réalité vécue. Ainsi le terme de revécu ne serait pas tout à fait utilisé dans le sens de vivre à nouveau, mais dans celui de vivre consciemment et pour une première fois des sensations qui ont été refusées à l'époque.
Et si l'on suppose que cette capacité de mettre à distance -ou l'introduction du mental entre nous et la vie qui ne cesse de se déployer- nous éloigne de nous-même, alors il est facile d'admettre le chemin inverse : la réconciliation avec nous-même nécessite d'en finir avec la peur, c'est à dire de réduire à zéro cette distance qui nous sépare de notre vécu.
Et nous avons là, à travers la voie sensorielle, un moyen très efficace de cheminer vers cette réconciliation. D'autant plus que les situations sources, les événements à l'origine de nos mal-aise, petits ou grands ne sont pas si nombreux et que chaque peur disparue est un pas vers la liberté intérieure et vient renforcer le courage d'être soi. (Voir le commentaire en lien ci-dessous).
Du point de vue de la pédagogie
Qu'y a-t-il à apprendre pour utiliser cet outil ? Qu'est-ce qui nous empêche habituellement de porter attention à nos sensations ? On pourrait dire un réflexe et peut-être une capacité de sauvegarde, celle de nous retirer, de nous absenter. Pour moi, le mouvement intérieur est très proche de celui de l'haptonomie. Que faisons-nous lorsque nous nous sentons vulnérables ? Nous nous contractons, nous réduisons notre espace sensible, notre étendue d'être. Et l'haptonomie nous apprend par l'expérience vécue la possibilité inverse : nous prolonger vers, aller à la rencontre.
Il s'agit ici d'un mouvement très similaire. La mémoire sensorielle se met en mouvement d'elle-même dans les situations " réactivantes ". Pour peu qu'on lui porte attention dans une position d'observateur impliqué, elle se déroule jusqu'à l'apaisement. Et si pendant ce déroulement le mouvement s'arrête, si la peur apparaît sous forme de pensée "je n'y arriverai pas", "j'ai peur de mourir" etc. alors, c'est à cet observateur de reprendre le mouvement, de se prolonger vers ce qui fait obstacle, vers cette peur pour la connaître et en connaître les sensations.
Finalement il s'agit d'un exercice de curiosité. C'est comme si vous achetiez le journal, c'est pour le lire et savoir ce qui se passe dans le monde. Vous vivez les sensations et constatez leur existence tout à la fois. Et si vous n'avez pas envie de lire qu'il y a eu un tsunami ou une guerre, alors soyez curieux, car que vous le vouliez ou non, ils ont eu lieu.
Et du point de vue du quotidien
Tout l'intérêt de cette manière d'être à l'écoute de ses sensations et de les laisser se dérouler à chaque fois qu'un mal-aise intervient dans votre vie, c'est qu'elle est portable. Plus que votre téléphone ou votre ordinateur, vous pouvez l'emmener partout dans le monde, sur n'importe quelle île déserte, non pas comme un rituel pare-excitation mais comme outil de changement intérieur toujours à votre disposition.
Bien-sûr, j'ai tracé ici quelques grandes lignes. Elles ne seront probablement pas suffisantes pour que vous soyez autonomes d'emblée dans cette démarche. Ne vous découragez pas. Ne jetez pas le bébé avec l'eau du bain (!). Si vous avez saisi que cette voie vous mène à vous-même, n'hésitez pas à vous faire aider. Une journée d'atelier suffit généralement pour vous rendre autonome et en cas de besoin, vous trouverez aussi à vous faire accompagner individuellement.
* Emmêlement dans le cordon ombilical, asphyxie, perte de connaissance et autres agressions.
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